Seconde moitié du XVIIIème siècle
La clarinette, qui a été introduite en 1754 dans le fameux orchestre de la Chapelle de Mannheim, ne possède encore que deux clés. Lacune très sérieuse. Aussi, les clarinettistes et les fabricants mettent tout en oeuvre pour remédier à cet inconvénient.
L'histoire de la clarinette s'identifie dès lors à la recherche des remèdes aux imperfections mentionnées ci-dessus.
Problème majeur. Vers le milieu du XVIIIème siècle, l'impossibilité presque absolue pour l'exécutant de jouer dans d'autres tons que celui dans lequel l'instrument était était fabriqué a obligé les facteurs d'instruments à construire des clarinettes dans presque tous les tons.
Très rapidement, on trouve le moyen de doter l'instrument de tons de rechange afin d'éviter le transport d'une série de clarinettes. On se servait en général de sept clarinettes différentes à l'orchestre en 1795. Xavier Lefèvre dit aussi qu'à son époque, grâce aux corps (ou tons) de rechange, deux clarinettes suffisent. Le corps de rechange s'adaptait au pavillon. La clarinette en Ut avait un corps de rechange pour jouer en Si bémol. La clarinette en Si bémol avait un corps de rechange pour jouer en La.
On utilisa également ce moyen pour d'autres instruments.
C'est probablement pour cette raison que les instruments appelés bois se divisent encore de nos jours en plusieurs parties qui s'ajustent par des tenons et des emboîtures.
Emploi de la clarinette dans les orchestres. L'orchestre symphonique de Mannheim ayant donné l'exemple, les différentes chapelles musicales introduisent à leur tour la clarinette dans leur orchestre. Il est noté que très souvent, les parties manuscrites de cette époque portent l'indication "Oboi (hautbois) o clarinetti". Dans ce cas, les passages qui sont attribués à la clarinette ne descendent jamais en dessous de la note grave du hautbois. Ce sont les derniers représentants de l'école de Mannheim (Cannabich - Karl Stamitz, fils de Johann, et Hozbauer) qui ont employé les premiers, le grave de l'échelle sonore de la clarinette. La symphonie en Mi bémal majeur (1764) que KOCHEL a cataloguée comme étant de Mozart (KV 18.) est en réalité de K. Fr. ABEL qui, le premier avec J.Chr. BACH, écrivit expressément des parties de clarinette.
Perfectionnements. Ce n'est qu'à partir de 1760 que l'on trouve la possibilité d'améliorer la technique et de ce fait, de combler les vides dans l'échelle sonore de la clarinette. Le nouvel instrument prend de ce fait son essor, il attire de plus en plus d'artistes qui cherchent à le perfectionner et c'est ainsi qu'il deviendra au fil du temps un des piliers de l'orchestre.
Entre 1750 et 1760, le fils de J.C. DENNER, allonge l'instrument et le dote d'un pavillon. Il ajoute une troisième clé qui permet de jouer le Mi grave
et sa douzième
. Cette clé se prenait avec le pouce de la main droite.
Vers 1770, la quatrième clé voit le jour et serait l'oeuvre de Barthold FRITZ. Elle permet de jouer le Sol dièze
et sa douzième Ré dièze
(Certains spécialistes attribuent l'adjonction de cette clé à Joseph BEER).
Il aurait également placé la clé du Mi grave de façon à pouvoir être actionnée par l'auriculaire de la main gauche. Ce qui faciliterait grandement la technique.
Vers 1775, Joseph BEER (Voir encadré ci-dessous), premier grand virtuose au service du Roi de Prusse, fondateur de l'école allemande, ajoute la cinquième clé. Celle-ci permet de jouer le Fa dièze
et sa douzième le Do dièze
.
- Citation :
- Joseph Beer est né à Grünwald (Bohême) le 18 mai 1744 et décédé à Potsdam en 1811. Il était trompettiste dans l'armée française durant la guerre de sept ans. Il étudie la clarinette à partir en 1771. Il fut un temps au service de la cour de St-Petersbourg (1784-1792) avant de prendre le poste de maître de chapelle de la cour de Potsdam (1793-1808) et eut comme élève H.J. BARMANN.
(Marc HONNEGER : Les Hommes et leurs oeuvres)
En 1791, Jean Xavier Lefèvre ((Voir encadré ci-dessous), ajoute une sixième clé qui permet de jouer le Do dièze
et sa douzième, le Sol dièze
.
- Citation :
- Jean Xavier Lefèvre (1763-1829), est un compositeur et clarinettiste d'origine suisse, premier professeur de clarinette du Conservatoire de paris (nommé le 16 thermidor an III de la République, 3 août 1795, clarinette solo à l'opéra et musicien de la chapelle de l'Empire.).
1791 est une date importante dans l'évolution de la clarinette car, grâce à cette sixième clé, l'échelle sonore de la clarinette est complète ! Emplois divers. En France, après Rameau, le Chevalier d'Herbain (1734-1769) emploie une petite clarinette en Ré dans Céline en 1756, Francoeur dans Aurore et Céphale en 1766.
C'est également en France que GLUCK découvre la clarinette. En effet, dans la partition de Orfeo et Euridice donnée à Vienne en 1762, on trouve encore les antiques chalumeaux, de même que dans Alceste exécuté à Vienne en 1767.
Elle est introduite à l'orchestre de l'Opéra de Paris en 1770 par Gaspar et Sader. A cette date, l'orchestre de Vienne ne possède pas encore de clarinette.
Possibilités techniques et expressives. L'échelle sonore est maintenant complète, aussi les compositeurs confient-ils des rôles de plus en plus importants à la clarinette. Mais ils devront encore tenir compte du ton de l'instrument avec lequel l'oeuvre sera exécutée.
Aussi, les modulations ne pourront guère s'éloigner du ton original de l'oeuvre. Grâce à cet artifice, une certaine vélocité sera possible.
Par exemple, dans le concerto de Stamitz, qui compte parmi ses plus fins travaux, on retrouve toute la fraîcheur mélodique, une très belle rythmique particulière et des effets harmoniques exceptionnels. La partition manuscrite a été découverte dans le "Thurn and Taxis Court Library" à Regensburg et l'oeuvre a été publiée pour la première fois par la Leeds Music Corporation.
Diverses façons d'emboucher.(*) Si l'on pose le bec selon la pratique d'avant 1800 (c'est-à-dire avec l'anche placée contre la lèvre supérieur de l'instrumentiste) le bout de la clé à longue tige (Voir le chalumeau à trois clés exposé au Bayerischen National Museum de Munich) obstrue le pouce de la main gauche.
Ekk. NICKEL s'est par conséquent demandé si la pratique originale n'est pas celle de "Untersichblassen" (anche placée sur la lèvre inférieure). Ceci, à l'encontre de ce qu'on admet généralement "Ubersichblassen" (l'anche placée sur la lèver supérieure).
D'après Osk. KROLL, on pouvait entendre en Italie des clarinettistes qui pratiquaient le "Untersichblassen" avec la lèvre supérieure couvrant les dents de sorte qu'il ne peut y avoir de traces. La pratique de la clarinette a du reste amené l'utilisation d'une embouchure plus petite que celle utilisée pour le chalumeau. Dès lors, un tel jeu s'imposait.
Le "Ubersichblassen" serait la deuxième étape résultant d'un changement survenu vers 1730.
Pour l'auteur :
1. Les trois corps de l'instrument portent la signature. L'usage est de faire figurer celle-ci frontalement sur les corps de l'instrument. Il est dès lors certain que le chalumeau de DENNER était conçu à l'origine pour la pratique du "Ubersichblassen".
2. S'il est impossible de jouer l'instrument de cette façon, une seule explication : les clés ont été changées (argument d'ordre technique).
Il est à noter qu'entre-temps, l'atelier du Musée susmentionné a procédé à la remise en place des clés. Le résultat est positif.
C'est Joseph BEER qui, plus tard, redécouvre qu'il valait mieux déposer l'anche sur la lèvre inférieure.
(*) Dans Musikforsdrung, Jg. 26-1973.H 4 - D'après Jurgen EPPELSHEIM.
Avantages. * Une plus grande stabilité.
* Un meilleur contrôle de l'embouchure.
* Une moins grande fatigue des lèvres (la lèvre inférieure n'est plus fréquemment coupée comme c'était le cas lorsqu'elle était coincée entre le bec et les incisives inférieures).
Cette nouvelle technique devait faire école.
Mozart et la clarinette. Si de nombreux compositeurs avaient déjà utilisé la clarinette en musique de chambre, en concerto, en musique symphonique et à l'opéra, le génial MOZART lui donna ses lettres de noblesse.
Dans "Les instruments de musique dans l'art et l'histoire", Bragard et De Hen affirment que Mozart aurait entendu la clarinette pour la première fois en 1777 à Mannheim.
Dans la revue Musica (janvier 1955), Georges Gourdet rapporte l'anecdote suivante : "Ah ! Si nous aussi, nous avions des clarinettes ! Vous ne pouvez imaginer le splendide effet d'une symphonie avec flûtes, hautbois et clarinettes !". C'est ainsi qu'au cours d'un de ses voyages à Londres, le jeune Mozart exprimait son enthousiasme pour l'instrument qu'il venait de découvrir. Et cependant, Mozart était Autrichien, la clarinette était allemande. Mozart avait vu le jour en 1756 : la clarinette était de soixante six ans son aînée.
Il aurait utilisé pour la première fois la clarinette dans une symphonie qui a été exécutée à Paris en 1778.
Que se soit dans le répertoire d'opéra, de musique symphonique et de musique de chambre, Mozart confie chaque fois à la clarinette un rôle important. On a dit des derniers quintettes de Mozart qu'ils nous donnaient la quintessence de son être le plus intime.
Ce compliment s'applique aussi parfaitement au qintette en La majeur K.581 pour clarinette et quatuor à cordes où Mozart use à merveille de cet instrument "le plus maniable et le plus souple de l'orchestre.
Il a écrit le concerto pour son ami maçonnique Antoine STADLER, virtuose de l'époque. Ce concerto, dernière oeuvre instrumentale que Mozart ait terminée, son Requiem étant resté inachevé, a été écrit pour une clarinette descendant au Do grave imaginée par STADLER qui était aussi facteur d'instruments. C'est sans doute dans l'adagio qu'il exprime le plus parfaitement l'apaisement qu'il ressentait devant la mort.
Roland Manuel va jusqu'à écrire que tout le secret de Mozart est contenu dans ce chant à la fois sobre et épanoui. (Plaisir de la musique, Tome 2, Ed. du Seuil).
Remarque : Un sujet sur Mozart sera évidemment ouvert dans la rubrique consacrée aux compositeurs et leurs oeuvres, mais il était impossible de faire l'impasse sur son rôle dans cette rubrique. Possibilités. De même que sur le plan expressif, on ne pouvait confier des traits de grande difficulté technique à la clarinette de cette époque, il fallait sur le plan technique, tenir compte des nombreuses déficiences de l'instrument : manque d'homogénéité sonore, manque de justesse, nuances limitées, technique encore rudimentaire. Aussi, il s'en fallait de beaucoup que cet instrument bénéficiât de la faveur universelle.
Dans l'encyclopédie de DIDEROT et d'Alembert au chapitre "l'Art du faiseur d'instruments", il est dit : "Dans le temps que je faisis cet article, il passe par Berlin un musicien qui jouait de la clarinette à six clés, sur laquelle on exécutait tous les modes. On a déjà remarqué combien les quatre clés sont causes de difficultés, ce doit être pis avec six".
Qu'aurait-il dit s'il avait connu la clarinette actuelle qui en possède 17 ou plus (selon le système)?
Source : http://users.skynet.be/LC/Clarinet/Histoire/Hist2.htm#XVIIIbis, avec l'aimable autorisation de Laurent Calomne